ENTRETIEN AVEC KIM CHANG-HOON
Comment décririez-vous Hopeless ?
KIM Chang-hoon - Il s’agit d’un récit initiatique. C’est l’histoire d’un jeune de 17 ans qui n’est jamais sorti de sa ville natale, qui vit dans un environnement qui ressemble à un enfer, et chez qui subsiste néanmoins une lueur d’espoir. Mais plus il nourrit cet espoir, plus il s’enfonce dans les problèmes, jusqu’à sa rencontre avec un homme nommé Chi-geon, qui l’emmène dans un monde d’adultes plus cruel encore. Le film parle des choix que doivent faire certaines personnes pour pouvoir sortir de leur condition et enfin s’émanciper.
Est-ce que vous avez d’abord pensé Hopeless comme un drame initiatique auquel vous avez ajouté des éléments de film de gangsters, ou est-ce le genre du film noir qui vous intéressait en premier lieu ?
Plutôt la première option ! C’était d’abord un drame, sur lequel se sont greffés des éléments de film de gangsters. Je voulais montrer toutes les formes de violence qui régissent de façon plus ou moins cachée notre société et à quel point cela influence les individus. Ce mélange a donné Hopeless.
Quel est votre rapport à la violence en tant que spectateur et cinéaste ?
J’aime Quentin Tarantino, Park Chan-wook, Martin Scorsese. En tant que spectateur, j’ai tendance à préférer les films qui montrent les conséquences de la violence plutôt que la violence elle-même. Mais on a parfois besoin de la montrer, surtout dans un film comme Hopeless, où il est question d’un environnement violent et toxique, d’un monde d’adultes tordus.
Plus généralement, quelles étaient vos influences cinématographiques sur ce film ?
Mes références sont plutôt à chercher du côté des premiers films des frères Dardenne, comme Rosetta, et du cinéma de Lee Chang-dong.
Pouvez-vous nous parler de la ville où se déroule le film ?
Cette ville n’existe pas, elle est totalement imaginaire. Elle se situe quelque part dans la périphérie de Séoul. Je ne voulais pas que ce soit une ville spécifique, car pour moi cette histoire pourrait se dérouler n’importe où. Il ne s’agissait pas de parler uniquement de la société et de la jeunesse coréenne : je pense qu’on peut trouver des environnements comme celui de Hopeless partout dans le monde.
Quel est votre parcours de cinéphile et de cinéaste ?
Ma mère, très cinéphile, a exercé une grande influence sur moi. Je me souviens qu’en primaire, au lieu d’aller jouer avec mes amis après l’école, je courais au vidéo-club pour louer des cassettes et regarder des films. En CE1, j’adorais les dinosaures, j’ai vu Jurassic Park avec ma mère au cinéma et ça m’a submergé. J’ai voulu faire des films à mon tour, ma mère m’a expliqué qu’il fallait que je devienne réalisateur et j’ai donc suivi cette trajectoire. Au lycée, j’ai commencé à bidouiller des films amateurs, puis je me suis dirigé vers la section arts du spectacle à l’université, où j’ai tourné mon premier court-métrage, Dance with my mother. Comme il fallait que je gagne de l’argent, j’ai commencé à écrire des scénarios. Je choisissais mes jobs d’étudiant saisonniers en fonction du temps que je pouvais dégager à côté pour me consacrer à l’apprentissage du cinéma. J’ai travaillé dans des hôtels, des call centers, des restaurants... J’ai appris le cinéma en écrivant de nombreux scénarios, jusqu’au jour où le producteur Han Jae-duk de Sanai Pictures a été séduit par Hopeless.
Votre film s’inspire-t-il d’une expérience personnelle ?
Je n’ai pas été confronté à ce type de violence physique. Mais j’ai fait des rencontres qui ont nourri le scénario, notamment avec une personne qui avait des idées très arrêtées sur le monde et voulait me forcer à penser comme lui, en estimant être de bon conseil. La société coréenne a une longue tradition patriarcale et machiste – c’est en train de changer – et je me suis rebellé contre ça, contre les injonctions qui nous poussent à vivre ainsi.
Ce rapport à la société patriarcale s’incarne dans le film dans des figures d’autorité ou paternelles qui sont très abusives. C’est une charge féroce contre les pères…
Le personnage du père est quelqu’un de très faible. Il a beaucoup de manques dans sa vie, ses affaires ne marchent pas bien, il commence donc à boire, puis en conséquence devient violent et se défoule sur sa famille. La seule qu’il ne touche pas, c’est sa fille, qui est à ses yeux ce qu’il a de plus précieux au monde. Comme il épargne Hayan, il se défoule d’autant plus sur Yeon-gyu. Alors Hayan protège Yeon-gyu et un cercle vicieux se met en place, une violence qui ne s’arrête jamais.
Comment s’est déroulé le tournage ?
Le tournage a duré trois mois. C’était difficile dans le sens où le budget était serré. Mais nous avons été très efficace dans le temps imparti, nous étions bien préparés et chacun a donné le meilleur de lui-même. Grâce à l’investissement de l’équipe, ça n’a pas été si difficile que ça !
Comment s’est passé le processus du casting et quelles qualités recherchiez-vous chez vos acteurs ?
Quand j’écrivais le scénario, je n’avais personne en tête, j’étais concentré sur l’histoire. Pour Yeon-gyu, le héros du film, qui est un personnage à plusieurs facettes, je ne voulais pas d’un visage connu, déjà identifié par le public. Dans l’intrigue, Yeon-gyu est comme une pièce rapportée dans un milieu qui lui est étranger, il ne fallait donc pas que le public puisse l’associer à autre chose. HONG Xa-bin était parfait pour le rôle parce qu’il a cette espèce d’aura ambiguë. Pour le personnage de Hayan, il me fallait quelqu’un de très fort, tout simplement parce que c’est le personnage le plus fort et le plus intense du film, même si elle est encore très jeune et qu’on la croit naïve. J’ai choisi KIM Hyung-seo, également connue sous le nom de Bibi : comme je l’avais déjà vue sur scène en tant que chanteuse, j’avais conscience de l’énergie phénoménale qu’elle pouvait dégager. Pour le personnage de Chi-geon, l’acteur SONG Joong-ki a lu le script et a tout de suite donné son accord – c’est grâce à lui que le film s’est monté. En Corée, il véhicule une image assez douce mais là il a vraiment plongé dans la noirceur de Chi-geon et réussi à créer ce personnage très complexe. J’adore sa prestation et je suis très heureux d’avoir pu obtenir ce résultat.
L’une des images fortes du film, c’est cette oreille blessée par un hameçon…
Le personnage de Yeon-gyu et celui de Chi-geon ont beaucoup de choses en commun. L’hameçon les relie, d’une certaine façon. Yeon-gyu a été victime de violence, il garde cette cicatrice sur le visage et c’est elle qui va l’emmener vers le monde des gangsters. Chi-Geon, lui, a manqué de se noyer dans son enfance par la faute de son père. Il a été sauvé par un pêcheur, mais il garde la cicatrice sur son oreille. Ces deux hommes sont tous les deux liés par des stigmates.
Chi-geon dit : « Quand un gosse se noie, quelqu’un doit le secourir »…
Il repense à son passé, quand il était gosse et qu’il se démenait pour ne pas se noyer. C’est comme s’il était mort psychologiquement à ce moment-là. Depuis, il mène une vie aux ordres d’un grand patron de la mafia coréenne. Quand il prononce cette phrase, il se projette dans Yeon-gyu, il voit un gosse qui se démène et il veut à son tour le sauver.
Le film s’appelle Hopeless mais à la fin, il y a quand même de l’espoir…
Oui, c’est vrai. Les personnages évoluent dans un milieu désespéré, ils pensent qu’il n’y a pas de sortie de secours dans cette ville, mais ils arrivent néanmoins à s’en échapper. On ne sait pas vraiment si ce sont des jours heureux qui les attendent, mais Hayan et Yeon-gyu se protègent l’un l’autre, ils vont donc au moins continuer à survivre.
Quels sentiments aimeriez-vous que le film provoque chez les spectateurs ?
Il y aurait plusieurs choses à dire mais pour aller à l’essentiel, je dirais que nous avons tous une lumière en nous et que nous sommes confrontés dans nos vies à plusieurs situations, plusieurs environnements, des choses qui nous influencent et qui font que parfois ce qui est instinctif en nous meurt. L’acquis prend le dessus sur l’inné. Je voulais dire dans ce film qu’en dépit de l’acquis, il ne faut pas perdre cet instinct, cette lumière qui nous habite.